Thursday, June 02, 2005

Université La Sorbonne – Paris III
U. F. R. Faculté de Lettres et Sciences Humaines
Département d’Etudes Germaniques



Caractéristiques du discours nazi
alsacien de 1940 à 1944
sous Occupation allemande


Mémoire de recherches présenté par
Lucia Lopez
Maître ès lettres pour l’obtention du diplôme d’étude approfondie d’allemand
Directeur de recherches : Professeur Behr

Remerciements

Je tiens à remercier, non pour subvenir à une quelconque « tradition » ou à un passage obligé, mais seulement pour exprimer ma gratitude au titre de probité morale aux personnes citées ci-dessous :

Madame Behr pour sa gentillesse, ses encouragements, ses conseils et sa patience ainsi que tous les enseignants qui m’ont appris l’Allemand à l’Université de la Sorbonne, à l’Université Blaise Pascal et à l’Université d’Aberdeen en Ecosse. Une pensée également pour Dominique Maingenau et André Salem dont l’aide m’a été particulièrement précieuse pour élaborer la première partie de ce mémoire.

Je tiens également à remercier le personnel des bibliothèques universitaires où j’ai séjourné et notamment celle de Strasbourg.

Je voudrais remercier toute ma famille pour leur soutien ainsi que tous ceux qui me sont chers.

La base

Quantité de mots qui constituent ce corpus pourraient être définis comme ceux du « discours nazi alsacien ». Tout au long de ce mémoire nous avons sélectionné des citations éloquentes pour illustrer au mieux nos explications. Elles sont tirées d’un corpus assez large au départ. Nous avons en effet extrait des SNN (Straßburger Neuesten Nachrichten) des années d’Occupation allemande, des coupures de presse qui nous semblaient significatives en rapport avec les évènements les plus parlants de cette partie de l’histoire alsacienne. Dann haben wir ungefähr die gleiche Menge an Wörter pro Jahr (von 1940 bis 1944) arrangiert um so die Häufigkeit des Vorkommens einzelner Wörter zu überprüfen. Nous nous sommes servi de ce corpus pour la seconde partie du mémoire concernant le groupe « Travail ». A partir de ce corpus initial, nous avons procédé à un découpage de façon à garder, par année d’Occupation, approximativement la même quantité de mots pour pouvoir effectuer au mieux des calculs lexicométriques[1] dans la première partie (groupe « Communauté ») du mémoire. En d’autres termes, certains articles de presse n’apparaissent pas dans les calculs bien qu’ils ont pu servir par ailleurs pour illustrer par exemple un point historique. La partition[2] du corpus comprend cinq groupes d’articles (de 1940 à 1944) qui sont de longueur suffisante pour établir des résultats significatifs[3]. Es geht um fünf Gruppen von Artikeln (1 pro Jahr). Jedes Mal gibt es ausreichend Artikel, mit denen wir aussagekräftige Ergebnisse bekommen können. Nous les avons intégralement recopiés dans des fichiers informatiques pour en permettre le dépouillement grâce à Lexico 3. Le corpus est étudié dans sa continuité chronologique et thématique[4] dans le but de déterminer son originalité. Wir haben das Textmaterial seiner chronologischen und thematischen Folge studiert, mit dem Ziel seine Besonderheiten zu zeigen.
[1] Lexicométrie : ensemble de méthodes permettant d’opérer des réorganisations formelles de la séquence textuelle et des analyses statistiques portant sur le vocabulaire d’un corpus de textes.
[2] (d’un corpus de textes) division d’un corpus en parties constituées par des fragments de texte consécutifs, n’ayant pas d’intersection commune et dont la réunion est égale au corpus.
[3] Dominique Maingenau, L’analyse du discours, p . 48.
[4] Isabelle Cuminal, Maryse Souchard..., Le Pen, les mots, p. 16 et 17.

Avertissement au lecteur

La détermination de l’existence d’un discours à partir de coupures de presse nécessite une masse de données de base considérable. Nous n’avons pu faire cependant l’analyse que d’un corpus relativement réduit. Cet état de fait découle d’abord de la fonction du Diplôme d’Etude Approfondie qui doit jeter les bases d’une future recherche doctorale plus approfondie et puis du temps pris pour dactylographier chacun des articles que l’état de vétusté ne permet de scanner plus rapidement. Nous avons recopié le maximum d'articles dans le temps qui nous était imparti et nous avons procédé à un découpage par la suite afin de pouvoir exploiter le corpus avec le programme informatique. Le corpus analysé est nous semble suffisant pour lancer le débat. Nous nous sommes astreints à n’exploiter que les deux exemples de champs lexicaux (ou groupes de formes) que sont le « Travail »[1] et la « Communauté ».
C’est grâce à la certitude que la recherche et la compréhension des artifices et ramifications des langues de propagande fasciste, n’est pas inutile, que l’on a pu trouver la raison de mener cette recherche jusqu’à ce terme. En vulgarisant leurs techniques et tactiques, on lutte de ce fait contre leurs méfaits.
Die Suche nach den und das Verständnis der Kunstgriffen und Verzweigungen der faschistischen Propaganda-Sprachen ist nicht umsonst. Man kämpft tatsächlich gegen ihre negativen Einflüsse oder Mächte indem man ihre Techniken und Tatiken klar macht. Das alles hat uns motiviert zu forschen.
Il s’avère de plus que la propagande alsacienne est différente de celle propagée dans la région allemande avec laquelle elle était administrée (le pays de Bade[2]). Elle s’inspire plutôt des programmes de manipulation des pays annexés à l’Est (Sudètes …) et demeure toutefois originale. La propagande déployée en Alsace devait être étendue à l’ensemble du Reich et cette région servait de « laboratoire »[3]. Nous estimons de ce fait, que son étude est essentielle pour bien comprendre les rouages de la propagande nazie ou politique en général.
Die Propaganda im Elsass war nicht die, die in Deutschland durchgeführt wurde. Insofern ist sie anders. Trotzallem erweist sich ihr Studium als wesentlich, um die Triebwerke der Nazi- oder politischen Propaganda zu erklären.
[1] La notion de travail est mise en avant selon Hildegard Châtellier et Monique Mombert, La presse en Alsace au XX siècle, p. 316.
[2] Rigoulot Pierre, l’Alsace-Lorraine pendant la guerre 1939-1945, p. 5.
[3] Bernard Vogler, Histoire culturelle de l’Alsace, du Moyen-Age à nos jours, p. 433.

La méthode

Pour pouvoir exploiter notre corpus nous nous sommes familiarisés avec des techniques linguistiques : l’analyse du discours et la lexicométrie[1]. La première est une méthode du traitement de l’information. Elle porte sur le mode et le fonctionnement des articles de presse dont elle doit faire ressortir les aspects représentatifs d’une part et sur les mécanismes discursifs qui ont conditionnés l’écriture des textes de presse (enjeux subjectifs et sociaux) d’autre part afin de ramener à l’unité d’un « positionnement » une dispersion d’énoncés[2]. La lexicométrie quant à elle permet grâce à un programme informatique de procéder à des calculs statistiques lexicaux pour faire rapidement ressortir les traits représentatifs et significatifs d’un discours délinéarisé[3]. Les ouvrages de Dominique Maingenau, Genèses du discours, L’analyse du discours (introduction aux lectures de l’archive), Analyser les textes de communication, le programme informatique LEXICO 3 ( la lexicométrie est une approche statistique vouée à délinéariser les textes politiques[4]) que nous donné André Salem et le livre La sémantique de Christian Touratier nous ont permis d’élaborer une connaissance de plus en plus précise du discours et de son traitement.
Ensuite, une étude du contexte (psychologique, social et historique)[5], de la propagande et de l’élaboration du discours journalistique général et particulier aux Straßburger Neueste Nachrichten (SNN) nous ont été non seulement profitables pour mieux cerner les différents facteurs d’influence du discours mais encore nécessaires car « le discours ne serait se réduire à un ensemble d’énoncés abstraitement « décontextualisés », mais constitue bien une pratique sociale, culturelle, intellectuelle et technique »[6]. Citons maintenant les ouvrages qui nous ont été utiles et décrivons les brièvement à l’attention des lecteurs.
L’Histoire générale de la presse française par Claude Bellanger et La presse en Alsace au XX siècle de Hildegard Châtellier et Monique Mombert nous ont permis de savoir quand la presse est devenue allemande et quelles ont été les mesures prises par les nazis pour soumettre ce moyen d’expression. La presse française disparaît d’Alsace-Lorraine dès 1940 et une presse germanisée apparaît dès juillet-août 1940. La langue française est proscrite et les journaux sont soit supprimés soit remplacés par des feuilles allemandes[7].
Les Saisons d’Alsace et L’Alsace-Lorraine pendant la guerre 1939-1945 de Pierre Rigoulot d’une part et La grande histoire des Français sous l’Occupation d’Henri Amouroux ainsi que La France contemporaine dirigée par le même auteur d’autre part, nous ont en outre apporté beaucoup d’informations sur le contexte régional alsacien pendant l’Occupation allemande.
Le viol des foules par la propagande politique de Serge Tchakhotine nous a appris les rudiments de la psychologie sociale et du fonctionnement des réflexes automatiques mettant en lumière l’importance de la répétition inhabituelle de certains termes. Fréquence accentuée en Alsace puisqu’elle doit rattraper le « retard » en terme de propagande qu’elle a par rapport l’Allemagne. Le manuel de Christian Baylon et Paul Fabre intitulé Initiation à la linguistique nous a permis de voir avec plus d’acuité l’aspect implicite de nombreux signes linguistiques et techniques de propagande.
Nous allons, avant toute étude, brosser les spécificités géographiques ainsi qu’un tableau des évènements qui ont ponctués la vie en Alsace à cette époque puis, énoncer les analogies culturelles entre Allemands et Alsaciens pour mieux comprendre l’influence de ces éléments sur le discours étudié. A ces grilles d’analyse[8], il faudra ajouter les subjectivités des personnalités en puissance dans le domaine politique et au sein des SNN. Cette variabilité, provenant du fait que le discours est un outil de propagande malléable qui s’adapte à tous les changements qu’un état de guerre fasciste implique, constitue son identité[9].
A ce propos nous tenons à préciser que compte tenu du très grand nombre de facteurs d’influence et des diverses techniques d’analyse, nous avons choisi de présenter les deux exemples « Communauté » et « Travail » de façon différente. Ce sont les influences des contextes militaire, administratif et politique qui seront tenu en compte dans le cas de l’étude des lexèmes[10] du groupe « Arbeit » et ceux des enjeux subjectifs et sociaux pour ceux du groupe « Gemeinschaft ». De plus, nous en avons profité pour présenter deux tendances différentes prises par ces groupes de lexèmes. Dans le premier cas, après avoir observé que le groupe « Communauté » apparaît avec une fréquence supérieure à la moyenne, c’est avec un programme lexicométrique basé sur des calculs statistiques que nous avons décidé de l’analyser. Dans le second cas, il s’agit de la formation de « chaînes lexicales » qui se constituent et varient au gré de l’évolution du contexte et des obstacles rencontrés dans un univers fasciste très restrictif. Voici maintenant quelques indications concernant la géographie, l’histoire, la culture et la presse alsaciennes qui donneront aux lecteurs des repères utiles pour mieux comprendre la suite.
[1] Lexico 3 d’André Salem
[2] Dominique Maingenau, L’analyse du discours, p . 9, 10, 14, 18 et 25.
[3] Dominique Maingenau, L’analyse du discours, p . 25.
[4] Dominique Maingenau, L’analyse du discours, p . 48.
[5] Dominique Maingenau, L’analyse du discours, p . 11.
[6] Paveau et Sarfati, Les grandes théories e la linguistique, p. 200.
[7] Bellanger Claude, Histoire générale de la presse française de 1940 à 1958.
[8] Dominique Maingenau, L’analyse du discours, p . 40.
[9] Dominique Maingenau, L’analyse du discours, p . 18.
[10] Modèle virtuel, antérieur à la manifestation dans le discours. Dominique Maingenau, L’analyse du discours, p . 40.

L’objectif


L’objectif de ce mémoire est triple :


- premièrement, il s’agit de présenter les facteurs d’influence du discours analysé dont nous pourrions être amené à étudier une plus ample part dans le cadre d’une thèse de doctorat même si, ici, seuls quelques uns d’entre eux sont analysés en détail.
- Deuxièmement, en montrant les détails d’un discours de propagande, on prouve son haut degré de précision, de complexité et de dangerosité. Il faut également noter qu’une population sous influence fasciste, soumise un certain temps à une façon de penser et de parler spécifiques, reste marquée très longtemps par la suite. Or, ces mots, employés de façon répétitive, conditionnent une certaine forme de pensée pour le moins ségrégative et inquiétante. Ceci pourrait expliquer en partie des problèmes d’actualité en Alsace : il faut en rechercher la source dans le passé.
- Troisièmement, ce travail pourrait indiquer les voies à emprunter pour prendre toujours plus du recul par rapport aux langues de propagande. L’appareil lexicométrique qui permet de délinéariser le texte pour en extraire ce qui est représentatif, semble aussi être un remède pour démystifier ce type de discours.

INTRODUCTION GENERALE

Il faut convaincre les Alsaciens d’appartenir au grand Reich germanique et nazi. Il ne s’agit pas moins d’obliger les gens à « penser allemand » et à les faire adhérer à une nouvelle vision du monde : Neuordnung. L’Alsace-Lorraine correspond à une terre nouvelle, d’expérience pour l’édification rapide et complète d’une société fasciste. La propagande est l’arme principale pour y parvenir. Ses objectifs sont de « déconstruire » pour ensuite « reconstruire »[1] un monde nouveau que décrivent les mots diffusés au quotidien par la presse. Un prêt-à-parler que l’individu moyen à force d’utiliser est prêt à penser.
Le type de discours nazi présent en Alsace a pour origine la « Langue du Troisième Reich »[2] présente en Allemagne et transmise par les envahisseurs. Il se trouve donc être composé de mots nazis allemands appartenant à la « langue de référence ». S’y ajoutent des mots plus typiques au cas étudié. L’ensemble se comporte de façon particulière dans le cas alsacien et ceci pour plusieurs raisons. Pour commencer, le contexte propre à l’Alsace lui reste spécifique sur plusieurs plans : la géographie, l’histoire, le système politique et la presse mise en place[3]... Evidemment, la nature du discours s’en ressentira. Ensuite, l’Alsace a été annexée quelques années après que la propagande ait déjà commencé à agir de l’autre côté du Rhin. Pour qu’une homogénéisation : Gleichschaltung s’opère le plus vite possible, le déploiement de la propagande alsacienne a dû être accéléré dans des buts de « regermanisation » et de « nazification »[4]. Le vocabulaire nazi s’est donc probablement distingué dans cet endroit en terme de fréquence[5]. Nous aurons donc l’occasion de faire l’inventaire de quelques formes lexicales originales sur fond de capacités évolutive et fréquentielle propres à toute langue qui veut manipuler l’opinion publique. L’appel à la communauté germano-alsacienne est un des thèmes les plus pertinents de la propagande en Alsace. En effet, les Allemands espèrent pouvoir exploiter la force de travail et de combat de la population helvétique et pour ce faire, la mise en relief de la notion de « communauté » leur paraît judicieuse. Cette technique a pour but d’inciter les Alsaciens ou même de les forcer à coopérer et à adhérer au nazisme. Nous étudierons donc des lexèmes appartenant aux deux groupes de formes concernant la « Communauté » en général et le « Travail » dans le cadre de cette étude.
[1] Henri Amouroux, La France contemporaine, p. 605
[2] Victor Klemperer, Langue du Troisième Reich
[3] Rigoulot Pierre, l’Alsace-Lorraine pendant la guerre 1939-1945, p. 35 et Saisons d’Alsace, 1943 La Guerre Totale, p. 111.
[4] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 19 et Bernard Vogler, Histoire culturelle de l’Alsace, p. 424 et Rigoulot Pierre, l’Alsace-Lorraine pendant la guerre 1939-1945, p. 32.
[5] (d’une unité textuelle) le nombre de ses occurrences dans le corpus.

Conventions

Tout ce qui est en italique est une expression ou même un mot allemand inséré dans le texte rédigé en français. Les exemples en allemand tirés des extraits de presse sont placés à l’écart du texte et séparé par une ligne. Nous avons parfois écrit en gras les mots des citations qui nous paraissaient importants pour mieux les faire ressortir.
Quelques notes en bas de page expliquent la signification de termes linguistiques ou lexicométriques complexes pour aider éventuellement les lecteurs. Ces définitions sont originaires du glossaire du manuel d’utilisation de Lexico 3.
Les titres d’ouvrages sont en italique dans les notes en bas de page tandis qu’ils sont simplement soulignés dans le reste du mémoire. S’il s’agit d’un titre en langue allemande, il est en italique (à cause de la langue étrangère) et souligné.
Dans le corpus, nous avons fait la distinction entre le verbe « sein » et le pronom possessif en plaçant un petit « ° » devant les verbes. Cette distinction a été utile lorsque nous avons dû faire le comptage de tous les pronoms possessifs en évitant de compter les verbes en même temps.
Il y a deux sortes de tableaux, les uns répertorient les lexèmes des groupes, leurs éventuels affixes et les substantifs de leurs entourages lexicaux et les autres comptabilisent le nombre de fois que paraissent ces derniers dans le corpus. Ces tableaux A, B, C, D, E et F illustrant l’analyse de la première partie de ce mémoire sont situés à la fin dans l’annexe à partir de la page 130.
Les graphiques présentant la fréquence de lexèmes ou groupe de formes en fonction du temps par exemple sont situés de la page 136 à la page 140. Il est important de noter que nous avons présenté les fréquences absolues ou relatives. Lors du travail de recherche on a comparé le résultat en fonction des deux options de fréquence et il s’est avéré que l’allure des courbes différait peu dans les deux cas. Ceci tend à prouver que les calculs statistiques qui ont été fait l’ont été sur la base d’un corpus de longueur suffisante. Il convient maintenant d’expliquer la différence entre une fréquence absolue et relative. Dans le premier cas, il s’agit du nombre d’occurrences dans la partie du texte. Dans le second cas, c’est le nombre d’occurrences en relation à la longueur de la partie du texte[1].
[1] André Salem, Lexico3, Toolkit for Textual Statistics, p. 26.

Conclusion

Après avoir défini le milieu dans lequel le discours a pris son essor à savoir le contexte général de l’époque et le monde du journalisme soumis aux lois de la propagande nazie allemande, nous avons analysé deux groupes de formes. Etant donné la multitude des facteurs d’influence, l’auteur a décidé d’observer l’évolution du groupe « Communauté » en fonction des techniques de propagande nazie à savoir « se légitimer » et « contraindre » la population a adhérer aux enjeux de la politique allemande en la rassurant et en la forçant. Nous avons réussi par la même occasion à mettre en évidence une autre caractéristique du discours à savoir un système d’interpellation des sèmes. Pour commencer, nous avons défini les formes du groupe « Communauté » (Gemeinschaft) qui s’avèrent être au sein de notre corpus : « Organisation », « Versammlung », « Volk », « Korporation » et des lexèmes ayant pour suffixe « -schaft ». En jouant à rapprocher des sèmes soit en utilisant un lexème contenant en son sein une large amplitude sémantique, soit en associant des lexèmes précis les uns des autres, soit encore par l’adjonction d’affixes, le discours parvient aux moments qu’il juge opportuns à rassurer, à motiver et à convaincre par la force ou la menace le lectorat. Ainsi les préfixes Haus-, Dorf-, Ort- et –Kreis ou les lexèmes « Gemeinschaft », « Versammlung » et « Organisation » sont censés « rassurer » et donner un ton paternaliste au discours au début de l’annexion. Pour motiver la population, on choisit des lexèmes en fonction de la capacité de leurs sèmes à susciter l’envie, ou une impression de nouveauté ou un sentiment de supériorité grâce à la superlativisation de « Volk » qui a lui-même une valeur positive. Nous avons également trouvé un « pseudo-archilexème » qui a l’avantage de regrouper en son sein divers sèmes significatifs en même temps ; « rassembler », « bien », « chaleureux » etc… Pour obtenir une opinion ou un sentiment déterminés à l’avance, il suffit à la propagande de faire un choix de mots spécifiques grâce auxquels les divers intérêts de la propagande sont tous sollicités comme dans le cas précédent.
Le second groupe étudié est le « Travail » en fonction du contexte culturel, historique et politique. Il nous a permis de déterminer la présence des chaînes lexicales spécifiques au discours nazi alsacien. Au départ, il est donné au travail un sens civil et l’on trouve des lexèmes dans le genre d’Arbeitsdienst. L’Alsace n’étant qu’une « annexe » du Reich, l’Occupant se contente au début de recruter des volontaires. C’est ainsi que le référent « Travail » prend en plus le sens « volontariat ». Mais bientôt d ‘autres sens viennent s’ajouter et remplacer les précédents. Ce phénomène est imputable aux faibles résultats des campagnes de recrutement de volontaires, à la situation militaire qui se dégrade et à la volonté du Gauleiter qui souhaite instituer le Service Militaire Obligatoire en Alsace. A chaque étape, les différents protagonistes se confrontent et donnent ainsi au référent différentes nuances sémantiques qui n’aboutissent pas forcément à la formation de lexèmes dans le discours de presse nazi alsacien. La situation alsacienne particulière rend difficilement praticable le travail de la population. Des problèmes tels que la « Nationalité » allemande non acquise ne permettant pas une incorporation de masse, puis le substitut trouvé « Wehrwürdigkeit » à la « Nationalité » problématique qui pose quant à lui le problème de l’ « Epuration » non effectuée de la population alsacienne qui empêche également une incorporation sont autant de nouveaux référents dont il faut tenir compte. Ces derniers sont liés indirectement au référent initial « Travail » mais ils sont importants car c’est en leur donnant une valeur positive c’est-à-dire c’est en trouvant des solutions au problèmes qu’ils évoquent que la population alsacienne sera à même de travailler dans le secteur civil ou militaire tout comme les Allemands.
Une étude approfondie du sujet devrait se faire avec un corpus bien plus conséquent contenant en plus d’autres types de journaux pour pouvoir procéder à des comparaisons. Nous pourrions ainsi définir au mieux les spécificités du discours nazi alsacien dans les SNN, trouver davantage de lexèmes ou d’occurrences pour nos deux groupes « Communauté » et « Travail » et faire une étude plus approfondie des autres groupes évoqués et en rapport indirect avec les précédents. En répertoriant les lexèmes du référent « Travail », nous nous sommes aperçus qu'ils étaient peu nombreux car ils ont été difficiles à apparaître dans la presse. Nous avons alors décidé d'employer une autre méthode linguistique qui consiste à présenter les mécanismes de formation du discours pour en montrer l'évolution typique au cas alsacien. De ce fait, les explications historiques du contexte sont très nombreuses et les lexèmes trouvés pas assez. Un corpus bien plus vaste et diversifié nous permettrait de présenter beaucoup plus d'occurrences et de mettre en avant les variations de fréquences d'une année sur l'autre et plus ou moins particulières en Alsace.

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Table des matières

Titre 1

Remerciements 2


Préface 3

Avertissement au lecteur 4
La base 4
La méthode 5
L’objectif 10
Conventions 11


Introduction générale 13


1. Le groupe : « Communauté » et les sèmes qui s’interpellent 15
Introduction 16
Qui sont les protagonistes ? 16
Quel est le type de relation des protagonistes ? 19
Techniques de propagande pour promouvoir la « Communauté » 19
Tableau : affixes du lexème « -gemeinschaft » 21
Justifier et légitimer ses actes 21
La langue 21
Le cadre de l’énonciation 23
Le contenu 24
Convaincre à participer selon le contexte 28
En rassurant 28
En forçant et en menaçant 37



2. Le groupe : « Travail » et les chaînes lexicales 44

Introduction 45
Définition 47
Approbation 48
Refus de recrutement 51
Tableau récapitulatif et sémantique 1. 52
Volonté d’instituer le service militaire perdure 56
Le contexte militaire 56
Impulsion de Wagner 58
Chaîne lexicale 63
Evolution vers l’accord de la citoyenneté pour tous 70
Epuration 72
Recensement 76
De l’incorporation au service militaire obligatoire 79
Tableau sémantique 2 82

Conclusion 84

Bibliographie 87
Table des matières 92

Annexe 95
Corpus 96
Tableaux A, B, C, D, E et F 130
Divers graphiques de fréquence (obtenu avec Lexico3) 136
Liste de concordance pour formes du groupe « Gemeinschaft » 141